AVIS
DU CONSEIL SUPERIEUR D'HYGIÈNE
PUBLIQUE DE FRANCE
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Section des Eaux
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Séances des 24 septembre, 22 octobre et 26 novembre 1991
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Teneur en plomb dans les eaux destinées à la consommation
humaine
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Le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France a été
informé par la Direction Général de la Santé, au cours de sa séance du 24 septembre 1991, de teneurs en plomb relevées dans de eaux destinées à la consommation humaine, dans la région d'Amiens, supérieures à
50 microgrammes par litre.
Dans la mesure où il n'existait pas un risque immédiat pour la population, une expertise a été menée sur les eaux pour préciser plusieurs informations recueillies alors et pour identifier le mécanismes en cause, afin de proposer un avis sanitaire circonstancié.
Au cours des séances des 22 octobre et 26 novembre 1991, le Conseil a étudié ces données et pris connaissance des conclusions d'une étude bibliographique détaillée faisant le point de derniers travaux menés sur la chimie du plomb dans l'eau.
Le Conseil, ses rapporteurs entendus et après discussion, émet l'avis qui suit.
"Considérant au plan général :
- que l'imprégnation saturnine de chaque individu dépend de son exposition à différentes sources (rejets atmosphériques en provenance de l'essence ou d'industries, rejets industriels peintures ou poussières de peintures anciennes au blanc de céruse, vin, eau, aliments ...) ;
- que les indicateurs biologiques actuellement disponibles permettent d'évaluer le niveau d'imprégnation saturnine résultant de l'ensemble des apports de plomb et non pas uniquement de ceux en provenance de l'eau ;
-que, pour des expositions globales au plomb relativement faibles, il ne résulte pas de risque immédiat pour la population, mais que des études internationales récentes ont montré qu'il pouvait exister un risque chez l'enfant se traduisant par une baisse des performances aux tests psychométriques ;
- qu'est engagée, au niveau international, une évolution tendant à réduire les niveaux d'exposition au plomb ;
- que des eaux présentant certaines caractéristiques physiques et chimiques peuvent, notamment après stagnation prolongée, dissoudre le plomb des canalisations ;
- que le plomb a été très utilisé autrefois pour réaliser les canalisations intérieures des immeubles et les branchements situés entre la canalisation principale du réseau public et le compteur d'eau ;
- que la directive n° 8O/778/CEE du 15 juillet 1980 fixe une concentration maximale admissible de 50 microgrammes par litre en eau courante mais indique également en observation que "dans le cas de canalisations en plomb, la. teneur en plomb ne devrait pas être supérieure à 50 microgrammes par litre dans un échantillon prélevé après écoulement. Si l'échantillon est prélevé directement ou après écoulement et que la teneur en plomb dépasse fréquemment ou sensiblement 100 microgrammes par litre, des mesures appropriées doivent être prises afin de réduire les risques d'exposition du consommateur au plomb." ;
considérant, sur le cas particulier de la ville d'Amiens, :
- que l'eau de la distribution publique respecte, avant les branchements, l'exigence réglementaire de qualité relative au plomb ;
- que, après stagnation d'au moins deux heures, des valeurs comprises entre 100 et 300 microgrammes/litre ont été observées aux points d'utilisation, une valeur maximale de 520 mjcrogrammes/litre ayant été relevée ;
- que, après soutirage, les teneurs en plomb au robinet sont inférieures à 50 microgrammes/litre et même souvent inférieures à 10 microgrammes/litre ;
- que, d'après les indications classiques et habituellement diffusées jusqu'alors sur la réaction de l'eau vis à vis de canalisations en plomb, il pouvait être considéré, si l'eau distribuée était proche de l'équilibre calcocarbonique, qu'il existait une protection contre la dissolution du plomb des canalisations ;
- mais que, dans l'état actuel des informations et connaissances récentes disponibles, la qualité de l'eau, notamment ses caractéristiques en titre alcalimétrique complet et pH, peut expliquer les teneurs en plomb relevées dans l'eau suite à la formation de sels de plomb solubles ;
- que la teneur en plomb relevée dans l'eau provient d'une dissolution des canalisations en plomb dans la partie du branchement située entre la canalisation principale du réseau public et le compteur d'eau mais aussi de celles pouvant être présentes dans le réseau intérieur privé ;
- que les différences existant entre les réseaux des immeubles d'une part, et entre les pratiques individuelles d'utilisation et de consommation de l'eau d'autre part, rendent difficile l'évaluation précise de l'exposition au plomb d'origine hydrique pour chaque personne ;
- que les interrogations faites auprès des centres Anti-Poisons de Paris, Lille et Rouen et du Centre Hospitalier d'Amiens ne révèlent pas actuellement de cas d'intoxication rapportée au plomb au cours des dernières années dans la
région ;
le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France,
1) pour le cas particulier de la région d'Amiens :
- estime que, aux teneurs en plomb relevées dans certains secteurs de la région d'Amiens dans les eaux destinées à la consommation humaine ayant stagné dans des canalisations en plomb, il n'y a aucun risque d'intoxication aiguë tant chez l'adulte que chez l'enfant, mais que, même si les apports hydriques .ne constituent qu'une partie de l'exposition au plomb, il est nécessaire de mener une démarche préventive, d'une part, en cherchant à réduire les apports directs et indirects liés à l'eau et, d'autre part, en sensibilisant le corps médical afin de favoriser la détection des premiers signes d'une éventuelle imprégnation saturnine excessive. Une priorité doit être donnée à la protection des groupes de populations sensibles. que constituent les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants jusqu'à l'âge de 6 ans ;
- demande que soit dressée une cartographie des zones concernées en considérant à la fois la qualité de l'eau distribuée et la présence de canalisations en plomb ;
- indique que, dans les zones ainsi délimitées et pour lesquelles les analyses de plomb ont montré un dépassement de la limite réglementaire, il devra être procédé à un remplacement des branchements en plomb au réseau public et les canalisations intérieures des immeubles devront être modifiées. Compte tenu du temps et des moyens nécessaires à la réalisation de ces travaux, doit être étudiée la possibilité de mettre en place un traitement collectif public destiné à modifier la qualité des eaux distribuées ;
- demande, dans l'attente de ces améliorations, que dans les zones identifiées comprenant des canalisations en plomb et alimentées par des eaux pouvant dissoudre le plomb à des teneurs supérieures à la norme de qualité, il soit recommandé dès maintenant :
. pour les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants de moins de 6 ans, d'utiliser l'eau embouteillée pour la boisson et la préparation des biberons ;
. dans les autres cas, d'éliminer les volumes d'eau ayant pu stagner dans des portions de canalisations en plomb, en effectuant un soutirage préalablement à toute utilisation de l'eau pour la boisson et la cuisson des aliments.
- suggère qu'une surveillance épidémiologique soit engagée pour évaluer le taux d'imprégnation saturnine de la population ;
2) au plan national, :
- demande que des dispositions complémentaires à celles figurant dans la circulaire ministérielle du 6 août 1984 soient prises pour permettre une identification des zones du territoire dans lesquelles peuvent exister, au robinet du consommateur, des teneurs en plomb supérieures à la nonne de qualité (50 microgrammes par litre). Pour faciliter cette identification, seront déterminées les unités de distribution dont les eaux sont agressives 4 celles dont les eaux présentent, au moins à certaines périodes de l'année, un pH d'équilibre calcocarbonique inférieur à 7,5 ; des précautions doivent être prises pour déterminer le pH d'équilibre calcocarbonique, notamment lors de la mesure in situ du pH de l'eau et de la détermination de la teneur en gaz carbonique. Compte tenu des nombreux facteurs pouvant influencer la teneur en plomb de l'eau, des analyses doivent être effectuées dans ces zones sur des réseaux de distribution d'immeubles dont le branchement au réseau public est en plomb ou qui sont eux-mêmes réalisés en plomb afin de déterminer les teneurs pouvant être réellement présentes dans l'eau ;
- recommande qu'une information générale soit faite auprès du corps médical ;
- attire, par ailleurs, l'attention sur la nécessité de rappeler à la population qu'il ne faut pas consommer une eau de puits ou de sources dont la qualité n'est pas connue, le risque microbiologique à court terme pouvant alors être très supérieur à celui, à plus long terme lié au plomb."
ALINE GODARD
SOUS-DIRECTEUR DE LA PREVENTION GENERALE
ET DE L'ENVIRONNEMENT
(document numérisé par le RESE)